En mai dernier, alors que les premiers dégâts de l’épidémie mondiale de Covid-19 commencent à se faire ressentir sur l’économie, le gouvernement français annonce sa volonté de généraliser l’actionnariat salarié. Une mesure destinée à augmenter le pouvoir d’achat et la motivation des équipes. Mais les chefs d’entreprise pourront-ils tirer un avantage de cette disposition ?
« Il est temps de ressusciter la grande idée gaulliste de la participation : les salariés deviennent actionnaires de leur entreprise, ils perçoivent leur part sur les bénéfices qu’elle réalise et ils augmentent leur pouvoir d’achat, en plus de leurs salaires, par l’intéressement. » Interrogé le 25 mai dernier dans le Journal du Dimanche à propos de la crise économique post-Covid-19, Gerald Darmanin affichait sa volonté de généraliser l’actionnariat salarié.
Celui qui était alors encore à la tête de Bercy défendait l’extension d’une mesure déjà existante depuis 1959, mais encore insuffisamment répandue, notamment dans les PME. « L’actionnariat salarié existe, je propose de le généraliser, de le simplifier, et de l’étendre ; en versant aux salariés des montants importants et non plus symboliques ; en raccourcissant le délai pour en bénéficier, en simplifiant encore le régime fiscal ».
Actuellement, la législation rend la participation obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés qui ont réalisé un bénéfice au cours de l’année précédente, de sorte qu’environ 5 millions de salariés sont concernés par ce système. Une participation qui peut concerner le capital de l’entreprise ou ses bénéfices et que le gouvernement souhaite simplifier et généraliser.
Un élargissement réclamé de longue date par plusieurs économistes et désormais en vogue dans la presse depuis le début de la crise post-Covid. Dans une tribune publiée dans le Figaro le 16 mai 2020, l’économiste libéral Xavier Fontanet défendait ainsi un approfondissement de l’actionnariat salarié, un bien meilleur levier pour solidifier l’économie qu’une augmentation de la fiscalité selon lui : « cela marquerait une évolution positive du capitalisme qui permet une participation renforcée de tous à la prospérité de l’entreprise ».
Quels atouts pour les chefs d’entreprise ?
Pour les salariés, un tel élargissement du dispositif représente un atout non négligeable en termes de revenus. Et pour les chefs d’entreprise, c’est un outil de motivation dans le cadre de la politique globale de rémunération. Un attachement aussi bien financier qu’affectif au destin de l’entreprise, particulièrement précieux en période de crise. Et ce, alors que cet attachement se dégrade : en 2018, seuls 62 % des Français déclaraient « aimer leur boîte », contre 69 % l’année précédente.
Selon Erwan Bordet du cabinet d’avocats Jeausserand Audouard, spécialisé dans l’accompagnement des dirigeants d’entreprise, « l’actionnariat salarié permet d’aligner les intérêts des dirigeants et collaborateurs de l’entreprise avec ceux des actionnaires. Plus ces dispositifs seront généralisés, plus les équipes seront financièrement motivées à atteindre les objectifs de croissance de l’entreprise ».
Mais ce n’est pas le seul atout de l’actionnariat salarié, notamment vis-à-vis du système des primes : d’abord, l’actionnariat salarié crée un esprit d’équipe au sein de l’entreprise dans la mesure où il récompense la performance collective, contrairement aux primes qui récompensent la performance individuelle. De plus, le versement d’une prime génère un coût important en matière de charges sociales et d’impôt. Pour Jérémie Jeausserand, avocat, « La mise en place d’outils d’actionnariat salarié permet de réduire ce coût pour l’entreprise et pour le collaborateur ».
Dernier atout, et non des moindres : l’actionnariat salarié peut être un moyen de renforcer les fonds propres de l’entreprise et de favoriser sa transmission aux salariés.
Attention cependant : un tel dispositif n’est pas exempt d’écueils, notamment s’il est mal préparé avec les différentes parties prenantes. De nombreuses spécificités, propres à la situation de l’entreprise et à ses objectifs doivent être prises en considération lors de la conception d’un plan d’actionnariat salarié. Pour Jérémie Jeausserand, qui participe au sein du réseau d’entrepreneurs « CroissancePlus » à formuler des propositions sur le sujet aux pouvoirs publics. « Toutes les situations particulières doivent être envisagées dès l’origine, telles que le sort des outils en cas de départ du salarié ou en cas d’acquisition ou de restructuration de la société émettrice, ceci au risque de générer des conflits futurs ou des frustrations ».
Enfin, attention à ne pas mettre la charrue avant les bœufs : dirigeants et actionnaires doivent en premier lieu déterminer les objectifs et les modalités du plan d’actionnariat salarié envisagé, lesquels doivent être en lien avec les objectifs et la stratégie de l’entreprise. « Ce n’est qu’alors que le dispositif adapté sera déterminé et mis en œuvre. On constate trop souvent que cette méthodologie est inversée, sous la pression des circonstances, ce qui aboutit à des situations d’insatisfactions réciproques ou à la mise en œuvre d’outils inadaptés » conclut Erwan Bordet.
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