Forêts : le paradoxe du « réensauvagement »

  • Publié le: mercredi 16 juin 2021

Alors que les Français sont toujours plus nombreux à avoir envie de forêt, certains acteurs défendent le concept de forêt primaire, sans aucune intervention humaine ou presque. Les forestiers dénoncent cette promesse d’un réensauvagement, qui va à l’encontre de la gestion durable des forêts.  

Pour encourager le développement de la biodiversité, lutter contre la pollution et stopper le réchauffement climatique, plusieurs voix s’élèvent en faveur du « réensauvagement » des forêts françaises. Le principe : une forêt sous cloche, délaissée par l’humain, retrouverait son fonctionnement naturel au bout de cinquante ans. Après 300 à 400 ans, elle atteindrait un stade de maturité et retrouverait même son état primaire au bout d’un millénaire. En Europe, une seule forêt – celle de Bialowieza, en Pologne – est encore considérée comme une forêt primaire…

Pour les naturalistes Gilbert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet, cette démarche permettrait notamment de faire revenir plusieurs espèces en voie de disparition dans nos contrées, comme le bison, l’élan, le lynx ou encore la cigogne noire… Si cela implique une « acceptation du sauvage », « abandonner ces territoires nous enrichit plus que de les exploiter », plaide Gilbert Cochet. « La nature est pleine de solutions gratuites à nombre de nos problèmes contemporains pour peu qu’on la laisse s’exprimer librement – eau propre, stockage de carbone, purification de l’air…, ajoute Béatrice Kremere-Cochet. […] Des études ont montré que des patients hospitalisés dans une chambre avec vue sur des arbres guérissent plus vite que ceux qui n’ont pour horizon qu’un mur en béton. Ce n’est pas un hasard. L’humain a psychologiquement et physiologiquement besoin d’espaces sauvages. » Une vision notamment partagée par le biologiste et botaniste Francis Hallé, qui défend la « libre évolution » des forêts et plaide pour la renaissance d’une forêt primaire en Europe de l’Ouest.

 

La fausse promesse du réensauvagement et de la forêt primaire

Mais cette vision de l’évolution des espaces forestiers s’accorde mal avec la pratique des loisirs en forêt, qui fait l’objet d’un engouement croissant de la part des Français. D’autres voix s’élèvent et dénoncent ce qu’elles considèrent être une illusion. « Une forêt qui fonctionne de manière entièrement naturelle, c’est une forêt peu accueillante pour le public, souligne Albert Maillet, directeur forêts et risques naturels à l’ONF (Office national des forêts), décrivant un « environnement très anarchique, peu adapté à la promenade et aux loisirs ». Réensauvager les forêts pourrait donc revenir à se priver de leurs bienfaits, de plus en plus recherchés. Selon une récente étude OpinionWay pour Stihl, 92 % des Français déclarent ainsi aimer la forêt, et 57 % ont ressenti une envie de forêt pendant la crise sanitaire. Plus d’un Français sur deux (56 %) s’y rendrait au moins une fois par mois, et même plus d’une fois par semaine pour un Français sur cinq.

Un attachement notamment porté par les bienfaits environnementaux de la forêt, qui résonnent particulièrement à l’heure de la prise de conscience écologique. La forêt est en effet un puits de carbone : le bois capte le CO2 et le séquestre durablement tout au long de sa durée de vie. Et c’est là que le bât blesse : les forêts primaires, non gérées par l’homme, ne rempliraient plus de façon optimale ce rôle de puits de carbone. C’est en tout cas ce que suggère une étude de la revue Nature parue en 2019, selon laquelle la forêt amazonienne pourrait devenir émettrice nette de CO2 en raison d’une surmortalité des arbres, qui libèrent le carbone stocké durant leur vie en mourant. Selon cette étude, alors que les forêts tropicales, primaires, absorbaient dans les années 1990 l’équivalent de 17% des émissions de CO2 dues à l’activité humaine, elles n’en absorbaient plus que 6% dans la décennie 2010-2020. Et ce alors même que les émissions ont continué d’augmenter. Une dynamique qui pourrait progressivement transformer les puits de carbone que constituaient les forêts primaires en générateurs de carbone.

 

De l’importance d’expliquer la gestion durable des forêts

A rebours de l’approche qui voudrait priver les forêts de toute intervention humaine, Caroline Berwick, déléguée générale de la Fédération Nationale du Bois, appelle à ne pas « enfermer la forêt dans un unique rôle » en la mettant sous cloche. Elle préfère mettre en avant la gestion durable des forêts telle qu’elle est mise en place en France, et qui permet de concilier accueil du public et préservation de la biodiversité. Chaque année, les forêts françaises accueillent près de 700 millions de visiteurs. Pour permettre à chacun de profiter des joies de la forêt en toute sécurité, les forestiers publics comme privés aménagent en permanence ces espaces, tout en préservant la biodiversité. Dans chacun d’eux sont établis des schémas d’accueil en concertation avec les acteurs du territoire (collectivités, associations, etc.) afin de structurer l’offre d’accueil et de garantir le respect des lieux, à l’image de l’organisation des circulations.

Dans sa forêt en gestion durable, le propriétaire forestier Louis Georges témoigne des différents dispositifs mis en place, comme l’installation de panneaux explicatifs sur les consignes à respecter et les pratiques forestières ou encore le balisage d’un circuit accompagnant les flux, toujours dans le souci de concilier accueil du public et préservation de la biodiversité. « Je pense que c’est très important que le public découvre comment on gère une forêt, témoigne-t-il. La plupart du temps, [il] ne comprend pas l’intérêt des travaux forestiers. […] [et] n’aime pas qu’on coupe les arbres. Pour leur permettre de mieux comprendre cette opération, j’ai installé un panneau qui explique pourquoi c’est important. »

De quoi rappeler aux visiteurs la complexité de la gestion durable des forêts, qui doit concilier quatre principales fonctions diverses : accueil du public, protection de la biodiversité, protection contre les risques naturels et production de bois. Une « gestion multifonctionnelle […] qui n’est pas le modèle dominant dans le monde », précise Albert Maillet, de l’ONF. Et qui fait des forêts françaises un carrefour écologique, économique et humain où la nature reste reine, à rebours des approches privilégiant un réensauvagement des forêts, et le retour de la forêt primaire.

 

 

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