La consultation citoyenne au coeur des débats publics

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  • Publié le: mercredi 28 août 2019

À l’image du Grand débat national, les concertations citoyennes se multiplient pour mettre à contribution les Français sur des sujets de société, notamment sur les questions sociales et énergétiques. Ce mode de gouvernance répond-il à une attente réelle de la population ou à une stratégie politique ?

Alors qu’Emmanuel Macron vient d’annoncer l’organisation d’une consultation publique sur la réforme des retraites, un tirage au sort a commencé le 26 août 2019 pour désigner les futurs participants à la convention citoyenne sur le climat. À partir du 4 octobre prochain, 150 personnes représentatives de la population française se réuniront pendant six week-ends de trois jours afin d’émettre des propositions directes au gouvernement. Cyril Dion, co-garant de la convention, affirme avoir obtenu du chef de l’État l’engagement que ces propositions iraient ensuite « sans filtre au Parlement, au référendum ou à l’application réglementaire directe ». « Un exercice démocratique inédit », selon le réalisateur et militant écologiste, qui s’inspire du récent Grand débat national et d’une tradition locale née au début des années 60. Les premières formes de consultation citoyenne ont vu le jour dans les banlieues françaises sous forme de groupes d’action municipaux (GAM), d’après le sociologue Simon Wuhl. Si ce mouvement n’a pas vraiment porté ses fruits, il a servi de préambule à la création d’une Commission pour le développement social des quartiers dans les années 80, puis de la Commission nationale du débat public en 1995.
Entre 2002 et 2016, plus de 130 projets ont fait l’objet d’une concertation ou d’une enquête publique via cette commission. Les questions concernent généralement la construction d’infrastructures d’envergure comme une ligne de chemin de fer, un barrage hydroélectrique ou un site de traitement des déchets. Depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée, les projets de débats publics semblent s’être accélérés, tandis que d’autres formes de consultation citoyenne ont vu le jour. En 2018, le président français en a ainsi lancé une sur l’avenir de l’Europe, qui a mobilisé 60 000 Français sans toutefois créer de grand retentissement médiatique.

Les consultations citoyenne sur la transition énergétique

Selon la chercheuse Marion Carrel, ce mode de gouvernance présente plusieurs atouts. « La participation citoyenne pourrait être l’un des leviers les plus efficaces – et révolutionnaires – pour régénérer la démocratie, toujours en chantier, écrivait-elle en 2014. Sous certaines conditions, elle peut renouveler les politiques publiques sur un mode ascendant, en s’appuyant sur l’expertise des citoyens et la codécision. Elle peut stimuler aussi les dynamiques d’émancipation des personnes, en particulier les plus précaires et éloignées de la parole. » Ces deux dernières années, le recours à la participation citoyenne est particulièrement utilisé sur la question de la transition énergétique. En 2018, la métropole de Nantes a par exemple mis en place son propre débat citoyen pour impliquer ses habitants sur le sujet. La ville de Bordeaux a, quant à elle, formé un groupe de jeunes pour qu’ils formulent ensuite leurs recommandations en la matière. Toujours en 2018, une consultation citoyenne a été lancée par l’Assemblée nationale sur le changement d’heure. Avec plus de 2,1 millions de participations, elle visait à mobiliser les citoyens autour des freins au développement des énergies renouvelables. Autre exemple : la concertation publique sur la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui s’est tenue du 19 mars au 30 juin 2018. Le but : consulter les Français sur les grandes orientations énergétiques pour les 10 années à venir. Malgré la complexité du sujet, plus de 8 000 personnes ont participé aux 86 rencontres publiques organisées à travers la France, et plus de 11 000 questionnaires ont été remplis.

Une soif d’information, même sur les sujets complexes

À l’heure des réseaux sociaux et des fake news, les Français sont en effet demandeurs d’information à la source. Quoi de plus efficace, dès lors, que de rencontrer et d’échanger avec des acteurs et experts de la transition énergétique. C’est le cas de l’actuel débat public sur le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR). Pour sa cinquième édition, le PNGMDR s’accompagne d’une consultation citoyenne organisée par la Commission nationale du débat public du 17 avril au 25 septembre 2019. À travers une série de 14 réunions dans plusieurs villes françaises, les organisateurs entendent consulter un maximum de citoyens sur la stratégie nationale en matière de gestion et traitement des combustibles nucléaires usés.
Le sujet est d’importance puisque l’atome, qui compte pour près de 75 % du mix électrique, permet à la France de disposer d’une électricité bas carbone, abondante et bon marché. Alors que le monde entier semble avoir pris conscience de l’urgence climatique, l’énergie nucléaire apparaît comme une des meilleures solutions pour de plus en plus d’experts comme le GIEC, mais aussi chez les défenseurs de l’environnement comme l’ancien ministre Brice Lalonde ou l’explorateur Jean-Louis Étienne. Encore faut-il s’accorder sur la gestion de ces matières et déchets radioactifs… Si les premières peuvent être réutilisées pour fabriquer du nouveau combustible, les seconds doivent en l’état actuel être entreposés en profondeur pour protéger la population et faire chuter naturellement leur radioactivité. Cette question ne concerne d’ailleurs pas seulement la filière électronucléaire, mais l’ensemble des secteurs utilisant l’atome (médecine, aviation, armée, etc.). « Il y a une vraie demande d’information et de transparence, sur un sujet qui est pourtant particulièrement complexe, témoigne Isabelle Harel-Dutirou, en charge du débat sur le PNGMDR. Ce débat a donc pour principale mission de contribuer à l’effort de clarification afin d’accroître la compréhension de ces sujets au sein de la population. »

L’ère de l’intelligence collective ?

Sur le terrain, les acteurs sont particulièrement engagés, à l’image d’Orano (ex-Areva), qui y voit « l’occasion d’expliquer les principaux enjeux relatifs aux matières et déchets radioactifs et de répondre aux interrogations et aux inquiétudes qu’ils peuvent susciter. L’occasion de rappeler que les déchets nucléaires sont recensés, surveillés, conditionnés, stockés dans des centres prévus à cet effet ou entreposés en toute sûreté en attendant une solution définitive. » EDF aussi prend régulièrement part aux échanges du débat public. Responsable de la gestion des déchets issus de l’exploitation et du démantèlement de ses 19 centrales nucléaires, le groupe y voit également l’opportunité d’expliquer la manière dont sont pris en charge les déchets radioactifs, sans entrer dans le débat pour ou contre le nucléaire. Même son de cloche du côté de l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs), qui entend mettre à profit sa « posture d’expertise pour éclairer le débat sur des sujets à la frontière de la technique, de l’éthique, des enjeux sociétaux, de la gestion sur le long terme des déchets radioactifs », à en croire Pierre-Marie Abadie, son directeur général.
Reste à savoir si cette tendance à informer, impliquer et interroger les Français ne cache pas une stratégie de communication en réponse à la crise politique que traverse la France depuis plusieurs années. La défiance vis-à-vis de nos représentants a connu un pic lors du mouvement des Gilets jaunes, qui réclamaient le fameux RIC (référendum d’initiative citoyenne) pour permettre aux citoyens de décider eux-mêmes des sujets à soumettre au vote populaire. La gouvernance par consultation citoyenne constitue donc un moyen efficace pour désamorcer cette soif de participation dans la prise de décision. Pour Bruno Cautrès, chercheur au CNRS, il s’agit à la fois d’une « tactique pour calmer les oppositions, les incompréhensions et la défiance contre le gouvernement » et pour « faire apparaître des idées ». « Nous sommes dans une société où l’éducation et les compétences sont élevées, explique-t-il. C’est donc une tendance qui s’inscrit dans une société moderne. […] Une élection seule ne règle pas totalement la demande des citoyens d’être pris en compte et de demander des comptes aux gouvernement. » Le recours à l’intelligence collective semble donc devoir être privilégié à l’avenir…

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