Au Kazakhstan, les aides ne se limitent pas à un chèque mensuel : elles incarnent un projet de société, une vitrine politique et un champ d’expérimentation numérique inédit en Asie centrale.
Un arsenal d’aides sociales en pleine expansion
Dans ce pays où les tensions sociales et l’histoire soviétique forment une trame bien particulière, l’État kazakhstanais a fait le choix d’ériger un système d’aides large et ramifié. Au total, dix types principaux de prestations sociales sont aujourd’hui accessibles à la population.
Mais attention : il ne suffit plus de se présenter dans une administration poussiéreuse, formulaire en main. Depuis janvier 2025, le pays mise sur la « carte numérique de la famille », un fichier centralisé recensant les profils sociaux et économiques de plus de 6 millions de foyers. Cette base de données déclenche l’envoi d’un SMS automatique aux ayants droit. Une réponse positive, et l’allocation est versée sans même que l’usager ne remplisse de formulaire.
« Le citoyen qui reçoit le SMS n’a qu’à y répondre favorablement. La procédure de demande et l’attribution de l’allocation ou de la prestation sociale se font automatiquement, avec un versement direct sur le compte bancaire du bénéficiaire », précise le Ministère du Travail et de la Protection sociale.
Le cercle de bénéficiaires potentiels a d’ailleurs été élargi au 1er janvier 2025, comme le rapporte ce site d’actualité Kazakhstan, avec le basculement, aux fins de distribution de prestations sociales, de la prise en compte de la pauvreté absolue vers la prise en compte de la pauvreté relative.
Des prestations sociales calibrées… et indexées
Mais que versent exactement les caisses publiques kazakhstanaises ? Le montant des allocations pour naissance en 2025 s’élève à 149.416 tenges pour les trois premiers enfants (soit environ 296 euros) et grimpe à 247.716 tenges (491 euros) dès le quatrième enfant. L’État mise donc sur la dynamique démographique pour structurer son modèle social.
Le soutien aux familles nombreuses ne s’arrête pas là. Les mères ayant élevé quatre enfants ou plus perçoivent une aide mensuelle allant de 63.030 à 110.332 tenges, soit 125 à 219 euros. Ces sommes ne sont pas fixes : elles sont revalorisées de 6,5% en janvier 2025, pour suivre l’indice d’inflation estimé.
Les parents d’enfants en situation de handicap reçoivent quant à eux 74.428 tenges par mois (147 euros), tandis que les pensions de retraite combinées peuvent culminer à 213.046 tenges (environ 419 euros) pour les bénéficiaires ayant accumulé les deux piliers (solidaire et contributif).
Militaires : une caste à part dans le système d’aides
En parallèle, une catégorie spécifique bénéficie d’avantages dérogatoires : les militaires. Dès le 1er février 2025, un catalogue d’exemptions et de soutiens dont le simple citoyen ne peut que rêver.
Pendant leur service, les soldats voient leurs crédits gelés, leurs soins entièrement pris en charge, et leurs frais postaux ou de déplacement intégralement remboursés. À la fin de leur engagement, ils accèdent sans concours aux universités et reçoivent une aide au logement, désormais dématérialisée via la plateforme gouvernementale mise en ligne en février 2024.
Cerise sur le gâteau : leurs enfants bénéficient d’une priorité d’accès aux établissements d’enseignement supérieur militaire. Une politique d’ascension sociale par le levier de l’armée.
Aide au chômage : une aide, mais pas pour tout le monde
Dans un Kazakhstan affichant un taux de chômage de 4,7% au deuxième trimestre 2024, le système d’indemnisation du chômage fonctionne selon une logique conditionnelle. Pour en bénéficier, il faut avoir cotisé au Fonds d’assurance sociale obligatoire pendant au moins 12 mois sur les deux dernières années, et être inscrit comme demandeur d’emploi officiel. L’allocation peut durer jusqu’à 12 mois, avec un plafond fixé à 45% du revenu mensuel moyen antérieur. Mais gare aux abus : il faut accepter les offres d’emploi ou de reconversion proposées par l’État sous peine de radiation. Ici, l’aide sociale devient un contrat.
Le Kazakhstan, nouveau laboratoire de l’État social numérique ?
Une automatisation des aides par SMS, une carte numérique de la famille, une base de données massive… Le Kazakhstan, loin des clichés d’un pays autoritaire figé, expérimente une vision technocratique et centralisée de l’aide sociale.
Mais derrière ces innovations se cache une question lancinante : cette profusion d’aides bénéficie-t-elle équitablement à tous ? Tandis que certaines catégories – comme les militaires ou les familles nombreuses – sont survalorisées, d’autres, notamment les travailleurs précaires ou les ruraux isolés, pourraient bien passer entre les mailles du filet algorithmique.