Fort avec les faibles, faible avec les forts : la politique migratoire française en question

  • Publié le: mercredi 21 avril 2021

Immigration : prompte à expulser des familles entières et des réfugiés politiques craignant pour leur vie dans des pays où les droits humains ne sont pas respectés, la France se montre au contraire complaisante envers certains individus louches, au passé sulfureux, qui profitent des largesses du droit français pour éviter de répondre de leurs méfaits dans leur pays d’origine.

Moins d’un an avant la prochaine élection présidentielle, le triptyque sécurité-immigration-islam se réinvite dans le débat public. Non qu’il s’agisse là d’une surprise, les principaux partis dits « de gouvernement » ayant, depuis plusieurs décennies maintenant, pris l’habitude de courir sur les plates-bandes du Rassemblement National dans l’espoir de draguer à eux l’électorat d’extrême droite. Sans vouloir alimenter un moulin xénophobe tournant d’ores et déjà à plein régime, l’hystérisation du débat public offre – maigre consolation – l’occasion de revenir sur la réalité de l’immigration en France et en Europe, ainsi que sur le contenu des politiques menées en la matière sur le Vieux continent. Des politiques publiques qui, pour obéir le plus souvent à de simples visées électorales et populistes, n’en demeurent pas moins illisibles, incohérentes et, bien souvent, inhumaines.

Terre d’immigration, l’Europe se referme sur elle-même

Le 1er janvier 2020, l’Union européenne (UE) comptait officiellement 22,2 millions de citoyens non européens sur son territoire, sur un total de plus de 447 millions d’habitants. Nous sommes donc, avec à peine 5% d’étrangers sur notre sol, loin d’une invasion migratoire, voire d’un « grand remplacement ». Surtout lorsque l’on sait que les États-Unis accueillent sur leur sol 13,7% d’étrangers, ou qu’un habitant du Liban sur sept est étranger. Près de la moitié de ces 22 millions de non-nationaux vit en Allemagne (10,5 millions), l’Italie, la France et l’Espagne se partageant, à peu près à parts égales, le reste de ces personnes, très majoritairement issues de Syrie, d’Afghanistan, d’Irak ou d’Érythrée. Terre historique d’immigration, l’Europe se déchire régulièrement sur la conduite à observer face à ces vagues d’entrées, tentant sans grand succès de conjuguer fermeté et humanité, tout en tolérant – voire entretenant – à ses frontières d’inacceptables drames humains : morts par milliers en mer Méditerranée, camps bondés en Grèce, accords de la honte avec la Turquie, etc.

Si la politique migratoire est, depuis 1997, une compétence européenne à part entière, les 27 Etats membres de l’UE restent néanmoins souverains lorsqu’il s’agit d’accepter telle ou telle personne sur leur territoire. Une marge de manœuvre qui ouvre la porte à toutes les dérives, telles que celles observées chez certains pays est-européens comme la Hongrie. Mais le pays des droits de l’Homme que se vante d’être la France n’a pas de leçons à donner en matière d’immigration. Sans s’attarder sur le nombre réel de demandeurs d’asile parvenant à obtenir leur précieuse carte de séjour dans l’Hexagone (ils étaient 42 000 seulement en 2019), certains cas plus médiatiques que d’autres jettent une lumière crue sur l’inhumanité de la politique migratoire française. Comme la très récente expulsion de Magomed Gadaev, un réfugié politique tchétchène que la France vient de renvoyer, via la Russie, dans son pays d’origine, où une mort certaine l’attend. Et ce, sans qu’aucune preuve ne l’accable ni ne justifie sa « fiche S », contre l’avis de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) et au mépris de la jurisprudence européenne comme des droits de la défense.

La France, terre d’accueil des pires criminels ?

Prompte à expulser les misérables dont la vie est menacée dans leur pays de départ, la France brille, au contraire, par le laxisme dont elle fait preuve à l’égard des puissants de ce monde, quel que soit leur passif ou le contenu de leur casier judiciaire. Comme le rappelle l’Association des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT), les autorités françaises restreignent le mécanisme dit de « compétence universelle », qui permet à un État d’entamer des poursuites contre les auteurs de crimes de guerre, crimes contre l’humanité ou génocides, et ce quel que soit l’endroit où ces crimes ont été commis. « En rechignant à changer la loi, estime Jean-Etienne Linares, délégué général de l’ACAT, la France envoie un message clair :  »Criminels de guerre, génocidaires, dictateurs de tout poil : bienvenue en France ! Ce n’est pas au  »pays des droits de l’Homme » que vous risquez le moindre ennui avec la justice ! » ».

Si l’ONG de défense des droits humains imagine un improbable scénario avec un Kim Jong-un ou un Bachar al-Assad « en goguette (…) à Saint-Trop », d’autres personnalités moins connues que les dictateurs nord-coréen et syrien, mais tout aussi sulfureuses, bénéficient bien de la mansuétude des autorités françaises. L’oligarque Moukhtar Abliazov, originaire du Kazakhstan, a ainsi obtenu en octobre dernier l’asile politique en France, à la suite d’une décision de la CNDA. Résidant dans l’Hexagone depuis 2013, l’homme d’affaires est pourtant accusé, notamment par le Royaume Uni, d’avoir détourné plus de 6 milliards de dollars à son profit, lorsqu’il dirigeait la banque BTA. Il aurait profité de son poste pour prêter des sommes colossales à une multitude de sociétés écrans lui appartenant. Un temps en fuite à Londres, où il a été condamné à 22 mois de prison, Moukhtar Abliazov a été finalement arrêté dans le sud de la France en juillet 2013. Avant d’être relâché et d’y couler des jours heureux, fort de son statut de réfugié politique et d’une protection payée par les contribuables français.

Des engagements bienvenus mais soumis à l’élection présidentielle 

Fort avec les faibles, faible avec les forts : telle pourrait être la devise française en matière de politique migratoire. Le 18 décembre dernier, le ministère de l’Intérieur a pourtant publié son nouveau schéma national d’accueil pour la période 2021-2023, dont les maîtres-mots sont supposés être « mieux héberger » et « mieux accompagner ». Sont notamment prévus la création de 4 500 nouvelles places d’hébergement, le raccourcissement de la procédure de demande d’asile à 6 mois, un meilleur accompagnement pour faciliter l’accès aux droits des demandeurs d’asile ainsi qu’un rééquilibrage entre les régions recevant le plus de demandes, comme l’Ile-de-France, et celles, comme la Bretagne ou la Normandie, dont les capacités dépassent les demandes effectives. Autant d’engagements bienvenus, qui restent néanmoins soumis au résultat de l’élection présidentielle à venir.

 

 

 

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