Abandonnés. Tel est le sentiment des ménages français face au démarchage abusif, qu’il sévisse par téléphone ou à domicile… En dépit des « efforts » consentis par les autorités pour enrayer ce véritable fléau, celles-ci apparaissent comme impuissantes… ou alors de très mauvaise volonté. Résultat : l’UFC Que Choisir, accompagnée d’autres associations, vient de lancer une pétition demandant l’interdiction du démarchage téléphonique.
Le téléphone — fixe, en général — sonne. Une fois. Deux fois. Parfois dix fois par jour. Au bout du fil, un interlocuteur — parfois un robot, souvent un téléopérateur appelant depuis l’étranger — proposant qui un nouveau contrat d’électricité ou de gaz aux tarifs défiant toute concurrence, qui une isolation de combles à « 1 euro » — une mesure qui ne bénéficie, en réalité, qu’aux ménages les plus modestes —, qui une nouvelle mutuelle, qui des panneaux solaires… Ce véritable harcèlement téléphonique est devenu, depuis plusieurs années, le quotidien d’innombrables Français, qui se sentent de plus en plus démunis face à un phénomène aux dérives hors de contrôle et contre lequel les autorités semblent impuissantes.
Le cauchemar du démarchage
A l’image de cet habitant de la Vienne, un paisible retraité rencontré par la rédaction du Monde qui, avec les moyens du bord, lutte depuis plusieurs mois contre le démarchage intempestif de sociétés spécialisées dans l’isolation des logements, qui n’hésitent pas à se prévaloir, à tort, de l’onction des pouvoirs publics. Ou de cet autre particulier, témoignant auprès de l’association Que Choisir des mauvaises pratiques du fournisseur de gaz et d’électricité Iberdrola, dont les téléconseillers le harcèlent au téléphone. La recette est toujours la même : « on explique (…) à l’usager qu’il paie trop cher et on lui promet une belle économie. (…) Avec du bagou et des propos rassurants, on fait tout pour lui inspirer confiance, le but de l’appel étant d’amener le consommateur à fournir un maximum d’informations, jusqu’à son compte bancaire, et à signer illico ».
Si les appels téléphoniques représentent un véritable fléau, le démarchage à domicile inquiète aussi de nombreux citoyens. A raison, si l’on en croit cette communauté d’agglomération de l’Ain, qui dans un « appel à la vigilance » invite les habitants de Bourg-en-Bresse « à vérifier l’identité des (démarcheurs) avant de les laisser entrer » chez eux et, « en cas de doute », à « contacter la Régie de l’eau (…) qui pourra confirmer l’identité de l’agent releveur ». Même son de cloche en Haute-Garonne, où les autorités départementales mettent en garde les personnes âgées « contre le démarchage abusif d’une société qui vend de la téléassistance soi-disant avec son accord en porte-à-porte ». La collectivité a décidé de porter plainte.
Bloctel : l’échec
Il existe pourtant une solution pour se prémunir du démarchage téléphonique : le dispositif Bloctel, mis en place par la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation. Un service, gratuit, d’opposition aux appels téléphoniques commerciaux, qui depuis sa mise en service le 1er juin 2016 n’a pourtant pas réussi à interrompre le flux des appels intempestifs chez les quelque trois millions de particuliers y ayant souscrit. Un échec reconnu officiellement par le gouvernement français, par la voix de son ministre de l’Économie, Bruno Lemaire, qui a déclaré en ce début d’année que « le gouvernement est pleinement conscient que pour beaucoup de nos concitoyens, les appels téléphoniques, non désirés et répétés, effectués à tout moment de la journée (…) constituent une véritable nuisance ».
Ainsi, selon une enquête réalisée par 60 Millions de consommateurs, pour près d’un inscrit sur deux la démarche d’adhésion à Bloctel n’aurait eu aucun effet sur la fréquence des démarchages. « Bloctel est complètement inefficace, déplore un particulier dans les pages de la République du Centre, et le gouvernement semble impuissant pour mettre fin à ce démarchage commercial. Autour de moi, tout le monde en parle. Les personnes âgées (…) ne répondent plus au téléphone. (…) Quel dommage d’en arriver à une telle régression ». Les amendes — pouvant, depuis la loi Hamon sur la consommation, aller jusqu’à 75 000 euros — et les contrôles opérés par la DGCCRF, ne semblent pas davantage dissuasifs. Et si une proposition de loi a bien été adoptée par le Sénat en 2019 pour durcir les sanctions, l’enfer du démarchage continue de plus belle.
« Notre législation ne s’est pas adaptée aux dérives engendrées par cette concurrence exacerbée »
« De toute évidence, notre législation n’est pas assez robuste face à ces nouvelles “techniques” commerciales », abonde le député Dimitri Houbron, selon qui « depuis la libéralisation de certains secteurs, notre législation ne s’est pas adaptée aux dérives engendrées par cette concurrence exacerbée ». Les causes du phénomène et de ses dérives sont, pourtant, bien connues.
Elles résident selon l’élu dans le fait que les entreprises « rémunèrent leurs démarcheurs exclusivement à la commission » : un véritable « pousse-au-crime », pour le parlementaire, « où les démarcheurs vont user de moyens illégaux ou contraires à toute éthique commerciale pour obtenir une (…) signature d’un client sous peine de ne pas obtenir (…) de salaire ». La solution ? Pour Dimitri Houbron, elle passe par le fait « d’interdire la rémunération totale des démarcheurs à la commission ».
En attendant une telle mesure, l’UFC Que Choisir, accompagnée d’autres associations de consommateurs, a décidé, ce matin, de passer à l’action : « alors que l’Assemblée nationale va prochainement discuter, en deuxième lecture, d’une proposition de loi sur le démarchage téléphonique, l’ADEIC, l’AFOC, l’ALLDC, la CSF, le CNAFAL, la CLCV, Familles Rurales, l’UFC-Que Choisir et l’UNAF, tirant les conséquences de l’exaspération des consommateurs et des litiges issus des appels commerciaux non désirés, s’unissent et lancent une pétition : Démarchage téléphonique : interdisons le fléau », peut-on lire sur le site Web de l’UFC.
Ces associations de prôner un passage à l’opt-in (le consommateur doit donner son accord express avant d’être démarché) : « pour les courriels et les SMS, c’est le système de “l’opt-in” qui est retenu. Cette interdiction des appels non désirés s’étend en Europe où après l’Allemagne, le Royaume-Uni a basculé vers l’opt-in face à l’échec de la liste d’opposition », précise la pétition, qui s’est fixé un objectif de 50 000 signatures. Devant le ras-le-bol croissant des Français, le démarchage téléphonique tel qu’on le connaît pourrait ainsi vivre ses dernières heures. Et c’est tant mieux.
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