Sécurité alimentaire : restaurer la confiance par l’action publique

  • Publié le: vendredi 8 février 2019

C’est un énième scandale qui touche la filière bovine, et plus généralement le secteur agro-alimentaire : un nouveau cas de viande avariée a semé l’émoi dans plusieurs Etats membres de l’Union européenne. Le 1er février, on apprenait que 10 tonnes de viandes frelatées et impropres à la consommation avaient été mises en circulation par un abattoir d’Ostroleka, au nord-est de la Pologne : 7 tonnes en Pologne, et 3 tonnes dans plusieurs autre pays de l’UE.

A chaque nouvelle situation de crise, les pouvoirs publics affirment que de nouvelles mesures vont être prises… en vain. C’était déjà le cas avec le règlement n°178/2002, adopté en réaction à la crise de la vache folle. Ce cadre législatif impose aux acteurs de la grande distribution de conserver les informations relatives à leur fournisseurs et à leur clients, de façon à créer une traçabilité « de la ferme à la fourchette ». Ce fut à nouveau le cas avec l’harmonisation des règles d’information du consommateur sur les denrées alimentaires, définies par le règlement n°1169/2011 de l’UE. Chaque nouveau scandale alimentaire a toujours pour conséquence de modifier le système de contrôle sanitaire des produits.

Il faut reconnaitre cependant la difficulté de l’exercice, liée à la complexité des procédés de fabrication, à l’atomicité des acteurs et à la fragmentation des chaîne de production et de distribution. Cette complexité rend les contrôles très ardus, voire aléatoires. Le nouveau scandale, révélé au début du mois de février, pose encore la question de l’efficience de la traçabilité des produits. Par quels moyens technologiques peut-on tracer correctement les produits alimentaires ? Et surtout, comment réinstaurer ensemble une économie de la confiance ? Dans une société de plus en plus mondialisée comme la nôtre, cette confiance est devenue primordiale. Il y a d’abord la confiance des consommateurs dans les produits qu’on leur propose, mais aussi la confiance dans les distributeurs, et enfin la confiance dans les producteurs, alors même que ces derniers sont le plus souvent éloignés et peu connus, voire anonymisés pour des raisons de gains de production.

Chaque nouveau scandale entame un peu plus cette confiance, pourtant indispensable au commerce et aux échanges. Pour rassurer les consommateurs de plus en plus inquiets par les innombrables scandales alimentaires de ces dernières décennies – on parle même d’ « orthorexie », l’obsession maladive du manger sain – les filières industrielles, multinationales et autres producteurs locaux multiplient les déclarations officielles sur la « traçabilité » de leurs produits, de leurs matières premières, et de leurs livraisons. Le mot est devenu un mantra, un Graal. Car dans les faits, la traçabilité relève le plus souvent d’un auto-contrôle exigeant de la part du secteur alimentaire. Or il n’est pas possible de contrôler parfaitement chaque étape de la production d’un produit. La traçabilité relève en réalité d’un concept marketing, qui fonctionne… jusqu’au prochain scandale. Et les scandales sont nombreux dans l’industrie alimentaire : scandale lié à la réputation d’un groupe, à la qualité de ses produits, aux problèmes sanitaires : les crises se succèdent et discréditent les discours officiels. En bref, la traçabilité ne doit pas être uniquement déclarative, et surtout ne peut pas être assumée entièrement par le secteur privé.

Une confiance restaurée par l’action publique

 

Le secteur privé, mu par des enjeux économiques, n’est pas en capacité d’assumer seul la responsabilité de ce contrôle. La sacro-sainte traçabilité doit nécessairement relever d’un cadre législatif, au niveau national, voire supranational du fait de la mondialisation des échanges. Cette traçabilité doit être contraignante et impliquer des contrôles tout au long des chaines de production et de distribution, et elle doit prévoir des mesures coercitives en cas de manquement. Cette méthode exigeante est probablement la meilleure façon, notamment pour les secteurs les plus sensibles, de responsabiliser les acteurs de production, grâce à un cadre étatique, ou supra-étatique. Seule une traçabilité encadrée par l’action publique peut être efficace et restaurer la confiance des consommateurs.

L’encadrement et la sécurisation des moyens de traçabilité constituent l’avenir du développement commercial et de services fondés sur la confiance publique. C’est une voie dans laquelle les Etats doivent impérativement s’engager. Certes, certaines filières vont exprimer des réticences, et vont spontanément rechigner à supporter des contraintes techniques et financières. Mais avec le recul, elles s’adapteront car elles y verront leur intérêt. La filière bovine aurait eu tout intérêt à instaurer des règles de traçabilité strictes et généralisées, car chaque nouveau scandale lui a fait perdre de façon irrémédiable la confiance de ses consommateurs, et bien entendu une part importante de son chiffre d’affaires.

Seul un mécanisme de réappropriation du contrôle alimentaire par les autorités publiques pourra rétablir un système efficient de traçabilité. C’est en encadrant au niveau national et supra-national ces acteurs économiques – victimes de l’intensification des échanges, de la compétition internationale et des exigences de rendements toujours plus optimaux – que la confiance pourra être rétablie sur le moyen et long terme. Des mesures de contrôles étatiques sont nécessaires car la responsabilité ne peut pas reposer entièrement sur un secteur privé qui a tendance à faire adopter en urgence une loi, un décret ou une norme une fois le dommage survenu, contribuant ainsi à l’inflation législative et à la décrédibilisation politique.

La demande croissante des consommateurs pour des produits « bio » – plus respectueux des terroirs, des traditions et de l’environnement – et leur capacité à payer chère cette prime de qualité et d’éthique, doivent pousser Etats et organisations régionales à s’adapter en organisant une protection renforcée des acteurs de cette chaîne. Les ressources primaires, les semences et l’élevage s’exposent de façon croissante à des besoins de protection renforcés. Cette protection renforcée constituera la première étape de la restauration de la confiance.

Des cadres internationaux et coercitifs de sécurisation sont déjà en vigueur dans certains secteurs. Par exemple dans l’industrie des cigarettes, l’Organisation Mondiale de la Santé a élaboré en 2012 un Protocole « pour éliminer le commerce illicite de tabac ». Ce traité international est entré officiellement en vigueur le 25 septembre 2018 après avoir été ratifié par 40 pays (48 Parties à ce jour), et vise à imposer aux fabricants de tabac, sous la maîtrise totale des Etats, une traçabilité indépendante. Evidemment, le lobby du tabac a lutté contre ce dispositif et essaye de le contourner par tous les moyens. Il appartient à l’OMS et aux Etats concernés de rester intransigeants et de maintenir un cadre légal contraignant pour entretenir la confiance.

Comparaison n’est pas raison. Mais cet exemple du secteur du tabac pourrait donner des idées aux Etats, à l’Union européenne, ou à l’OMC, afin de sécuriser davantage la chaine de production du secteur alimentaire et de rétablir la confiance des consommateurs sur le long terme.

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