Lutte contre l’obésité : le Kenya fait un pas en avant et deux pas en arrière

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  • Publié le: mardi 20 mars 2018

Au Kenya, une loi taxant les boissons sucrées vient d’être retoquée par un juge pour cause d’inconstitutionnalité. Il y a pourtant péril dans la demeure : diabète et obésité sont en folle augmentation dans un pays où on compte à peine un cardiologue pour un million de personnes.

Malgré sa grande richesse culturelle et sociale, le continent africain reste marqué d’Est en Ouest par les mêmes scories. Si les contrebandes d’ivoire et d’espèces menacées défraient régulièrement la chronique en Europe, les problèmes de santé publique causent, en plus d’un important manque à gagner en termes de recettes fiscales pour les États, des ravages aux conséquences sanitaires potentiellement dramatiques. De fait, l’alcoolisme, le tabagisme et l’obésité sont en train de ronger l’Afrique où les multinationales se battent pour se faire une place de choix.

Le Kenya est le dernier exemple de ce combat à mort où les défenseurs de la santé publique viennent de se prendre un coup au foie. Hier, la Cour suprême du pays a ainsi décidé de retoquer une loi imposant des taxes sur l’eau en bouteille, les sodas et autres boissons sucrées, à l’image de ce qui se fait dans les pays modernes. Une action aux conséquences pourtant désastreuses, à l’heure où toutes les statistiques s’accordent à dire que les maladies liées au surpoids comme l’obésité gagnent le continent.

La justice retoque la “taxe soda” du Kenya

Dans ces conditions, la réponse des autorités kenyanes tarde à venir. Quand elle ne va pas littéralement à l’encontre de l’intérêt des citoyens. Ainsi, sur des bases plutôt floues, John Mativo, juge de la Cour suprême, vient en effet de mettre un terme à la taxe sur les boissons sucrées mise en place par la KRA (Kenyan Revenue Authority) en 2017. “L’imposition des droits d’accise fondée sur l’avis juridique n’a pas été promulguée d’une manière conforme à la loi et n’a donc pas de fondement juridique” justifie l’homme de loi. En langage châtié : la “taxe soda” du Kenya serait inconstitutionnelle, explique Mr Mativo, se fondant sur l’absence de consultation populaire avant la mise en place du système. Quelle forme aurait cette consultation populaire (référendum, réunions civiles)? Le juge n’a pas tenu bon de le préciser. Il ne s’est pas non plus prononcé sur le bien fondé du système mis en place par les services publics.

Si la taxation sur les bouteilles d’eau inquiétait à juste titre, le fait que toute la loi ait été retoquée par le juge n’a pas manqué de surprendre les médias kenyans. Réduire la consommation effrénée de sodas est en effet urgent pour un pays où 480 000 personnes sont mortes du diabète en 2012, selon l’OMS.

Insuffisant pour le juge Mativo pour qui John Nijraini, le Commissaire général de la KRA, “n’aurait pas suffisamment pris en compte l’intérêt public”. Une remarque qui tranche avec les récentes enquêtes sur la percée des maladies liées au surpoids. “Le taux d’obésité augmente plus rapidement que partout dans le monde”, évoquait le New York Times, où les femmes sont désormais en neuvième position pour les problèmes de surpoids. Décrivant l’émergence d’une “épidémie imprévue”, le quotidien américain a interrogé l’un des rares cardiologues du Kenya (40 hommes et femmes pour 48 millions de personnes), Anders Barasa. Le médecin de lâcher, désespéré “Ce que nous voyons, c’est probablement la pire épidémie que le pays ne verra jamais. À long terme, elle sera probablement pire que l’épidémie du VIH dans les années 90″, expliquait le spécialiste, pessimiste.

Le juge a-t-il lu ce témoignage avant de prendre sa décision ? Il y a fort à en douter. Il n’a en revanche pas manqué de lire les déclarations de l’activiste Okiya Omtatah, qui est à l’origine de la plainte en justice. L’homme au verbe haut et à l’aspect bigarré est connu pour ses sorties de route frénétiques. “Mon activisme, je ne sais pas si c’est de la folie. Parfois on me dit fou, mais il faut parfois être fou dans un monde de fous” se justifiait l’homme au journal Capital FM en juin dernier.

 

La KRA : bouc-émissaire commode d’un ras-le-bol populaire

Okiya Omtatah a depuis longtemps la nouvelle loi dans le viseur. L’homme, qui prétend défendre la population contre l’intérêt des multinationales, avait ainsi lancé une pétition au parlement afin de pousser les députés à renoncer aux timbres d’assises mises en place par la société suisse SICPA.

L’entreprise vaudoise de traçabilité travaille main dans la main avec les États du monde, notamment dans la mise en place d’encres infalsifiables pour ses billets. Implantée au Kenya depuis quelques années, elle a mis en place un système de traçabilité sur les cigarettes et sur l’alcool pour le compte de la KRA. Mais qui n’avait pas manqué de faire s’élever les critiques de la population et des industriels, dans un pays où la consommation d’alcools frelatés et la vente de cigarettes, qu’elle soit illicites ou non, est fortement répandu. Malgré ces freins, le dispositif a été mis en place, non sans succès. En novembre 2017, la KRA a ainsi récupéré des impôts impayés qui correspond à près de 440 millions de shillings kenyans, en provenance du cigarettier Master Mind.

Malgré cela, le ras-le-bol populaire continue d’enfler. La KRA, sous pression de l’État kenyan, se doit également de réguler un pays où les trafics vont bon train afin de juguler les pertes liées à l’économie illicite. Et plus l’autorité administrative taxe, plus les citoyens lui en veulent. La KRA et l’entreprise SICPA se serait-il fait un ennemi de trop en la personne d’Okiya Omtatah ? Ce dernier ne semble pas ménager ses efforts pour nuire aux deux structures. Sa personnalité haute en couleur donne en outre au combat un caractère baroque qui font l’étoffe des grands procès populaires. Et en concentrant ses attaques sur la société SICPA et la KRA, Omtatah semble avoir bénéficié du sentiment de méfiance qui a germé lors de la mise en place de la taxe cigarette. Mais à force de vouloir gagner à tout prix, Okiya Omtatah semble avoir oublié une chose importante: la santé publique de ses concitoyens qui, au niveau national et mondial, inquiète.

 

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